Mission impossible : l’Allemagne tente de mettre fin aux droits de douane européens sur les voitures électriques chinoises
L’Allemagne a une dernière chance de faire rejeter les droits de douane lors d’un vote des Etats membres. Mais atteindre la majorité de blocage requise semble hors de portée. Et serait sans précédent.
Ceci est un article explicatif sur le fonctionnement du vote à la majorité qualifiée dans l’Union européenne. Vous êtes bien assis ? C’est parti !
L’UE décide à la majorité qualifiée sur certaines questions importantes. Ces règles seront à l’œuvre lors du vote final des 27 Etats membres sur l’imposition de droits de douane sur les importations de véhicules électriques chinois.
C’est une décision lourde de conséquences pour l’industrie automobile européenne, à qui Bruxelles a demandé d’arrêter progressivement la vente de voitures à moteur diesel ou essence d’ici à 2035. Les droits de douane, destinés à compenser les subventions de Pékin accordées à ses constructeurs de véhicules électriques en plein essor, pourraient permettre à des entreprises comme Volkswagen ou Stellantis de gagner du temps pour s’adapter.
Mais l’imposition de ces droits pourrait également déclencher une guerre commerciale avec la deuxième économie mondiale, la Chine ayant déjà menacé de prendre des mesures de rétorsion contre les exportations de brandy, de porc et de produits laitiers européens, ainsi que de voitures haut de gamme.
L’Allemagne (pensez à ces Porsche ou Mercedes qui pourraient rouler dans les rues de Shanghai) mène depuis des mois le combat contre les droits de douane, mais en vain. Le vote à venir devrait être la dernière chance pour le chancelier Olaf Scholz d’y mettre fin.
C’est là que le vote à la majorité qualifiée (VMQ) entre en jeu. Pour bloquer les droits de douane, Berlin aurait besoin d’une double supermajorité qui, d’une part, serait extrêmement difficile à réunir et, d’autre part, n’a jamais été utilisée auparavant pour annuler une mesure de protectionnisme.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a lancé une enquête antisubventions il y a près d’un an. Celle-ci recommandait dans ses conclusions des droits de douane allant de 8% à 35% sur les véhicules électriques fabriqués en Chine. Ces variations s’expliquent par le fait que certaines entreprises (comme Tesla) ont coopéré à l’enquête, contrairement à d’autres (comme SAIC), et par le fait que la Commission a conclu qu’elles recevaient différents niveaux de subventions publiques.
Après une réunion jeudi dernier à Bruxelles entre le commissaire européen au Commerce, Valdis Dombrovskis, et son homologue chinois Wang Wentao, lors de laquelle ils ne sont pas parvenus à un accord, la Commission devrait soumettre ses recommandations finales à un vote de confirmation par les Etats membres de l’UE.
Cela doit se faire dans les dix jours suivant la soumission à un obscur panel — appelé Comité des instruments de défense commerciale — qui regroupe des représentants de chaque capitale européenne. Et c’est là que les redoutables règles du vote à la majorité qualifiée entrent en jeu.
Qu’est-ce qu’une majorité qualifiée ?
Lors d’un premier vote, le comité pourrait approuver ou rejeter les droits de douane à la majorité simple, soit 14 des 27 pays membres de l’UE.
Mais s’il y a une majorité contre, ce ne sera pas la fin de l’histoire.
Les droits de douane feraient ensuite l’objet d’un appel et d’un second vote final. Pour les rejeter, les opposants devraient alors réunir une majorité qualifiée de 15 Etats membres représentant 65% de la population de l’UE.
Dans cette dernière composante du VMQ, les pays sont pondérés proportionnellement à leur population. Cela signifie que les grands pays de l’UE ont plus d’importance.
Quelle est la position de chaque Etat ?
On a déjà une idée relativement précise de la position des pays, puisqu’ils ont procédé à un vote informel le 15 juillet.
Dix soutiennent les droits de douane. Le plus grand d’entre eux est la France, qui a fait pression avec succès pour que l’enquête antisubventions soit lancée. L’Italie et l’Espagne étaient également de la partie.
La Commission a également interprété le silence de deux pays — la République tchèque et la Grèce — comme un assentiment, ce qui porte le total à 12. Sur une base pondérée, cela représente plus de 60% de la population de l’UE en faveur des droits de douane. Prague, qui a une importante industrie automobile, pourrait très bien voter contre, le cas échéant.
Seuls 4 pays — Chypre, Malte, la Hongrie et la Slovaquie — se sont prononcés contre, tandis que les 11 autres se sont abstenus.
L’Allemagne faisait partie des indécis, mais cela s’explique par des raisons de politique intérieure : la coalition de centre gauche d’Olaf Scholz est divisée sur la question des droits de douane, les sociaux-démocrates s’y opposant catégoriquement et les Verts du ministre de l’Economie, Robert Habeck, étant pour le moins ambivalents. Pour que le “non” l’emporte, il faudrait d’abord que les Allemands se mettent d’accord entre eux.
Habeck a convié les patrons de l’automobile à un “sommet” de crise lundi, alors que le principal lobby de l’industrie allemande demande l’arrêt des droits de douane sur les véhicules électriques. La réunion n’a pas donné grand-chose, Habeck ayant déclaré : “Il vaut mieux ne rien faire que des solutions prises à la va-vite.”
Cela suffira-t-il à faire basculer les indécis ?
Si Berlin voulait obtenir suffisamment de soutien pour bloquer les droits de douane sur les véhicules électriques, il devrait d’abord faire basculer les “indécis” dans le camp du “non”.
Toutefois, à l’exception de l’Allemagne, les pays qui se sont abstenus en juillet sont trop petits pour faire une différence significative : à eux tous, ils ne représentent que 15% de la population de l’UE. Cela signifie que le camp du “non” resterait bien en deçà du seuil de population requis pour obtenir un vote à la majorité qualifiée.
Pour l’emporter, l’Allemagne aurait besoin que d’autres — grands — pays qui ont soutenu les droits de douane en juillet fassent défection.
Et si les poids lourds font défection ?
L’Espagne et l’Italie pourraient, du moins en théorie, faire une ouverture. Bien qu’ils aient voté en faveur des droits de douane en juillet dernier, ces deux pays ont appelé à une solution négociée avec Pékin.
Lors d’une récente visite en Chine, le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a exhorté la Commission et d’autres pays à “reconsidérer” leur position, ajoutant que “nous n’avons pas besoin d’une autre guerre”.
L’Italie ne semble toutefois pas prête à bouger : le ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani, a déclaré cette semaine que son gouvernement “soutient la position de l’UE” sur les droits de douane.
Imaginons que les deux pays changent de camp et décident de s’opposer aux droits de douane. Malheureusement pour l’Allemagne, cela ne suffirait pas. Cette coalition de 17 pays représenterait 61,4% de la population du bloc, ce qui est encore loin de la majorité requise pour remporter le vote en appel.
Pour atteindre le seuil magique de 65%, il faudrait qu’un grand pays — les Pays-Bas ou la Pologne — passe du camp du “oui” à celui du “non”. Ou deux pays plus petits.
Les opposants aux droits de douane sont confrontés au dilemme du prisonnier : même s’ils remportent le premier vote (à la majorité simple), ils ne parviendront probablement pas, lors du second vote, à réunir la majorité qualifiée nécessaire pour mettre fin aux droits de douane.
Face à de telles probabilités, même les ennemis les plus déterminés des droits de douane sur les véhicules électriques y réfléchiraient à deux fois avant de forcer le vote final.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.